Poèmes, textes et notes…

Volonté

C’est quand j’ai vu
la vieille dame éternuer
au-dessus du buffet
à volonté
que j’me suis dit
T’as raison. On aurait dû se faire un kebab.

 _ _

EC, 12/01/2018

Thierry J.

Dans le carré de sièges devant moi
quatre cadres
sûrement très dynamiques
discutent fort de l’ambiance dans la boîte.
Ils s’esclaffent
se moquent de leurs clients
commentent bruyamment le travail des équipes
répondent à leurs téléphones…
Apparemment
depuis le licenciement de Thierry J.
tout se passe pour le mieux.
Les chiffres sont bons
et personne ne craint pour sa place.

 

Ils devraient pourtant, craindre
pour leurs places.

 

Puisque à ce moment même
un wagon tout entier
agacé par le bruit
fomente silencieusement un plan
pour venger Thierry J.

_ _

E.C. 12-18/01/2018

Je cœur New York

14 août 2009

 

Je visitais le sommet du Rockefeller Center
quand soudain je réalise que c’était le jour
du premier anniversaire de la mort de Mémé.
L’altitude peut-être.

 

J’étais haut.
Il en fallait pas plus
pour croire en la force mystique du moment
et le tourner en rite d’initiation.

 

Je sors de ma poche un porte-clés à l’effigie de Dijon
puis le brandis de tout mon vertige au-dessus de Central Park.
Je suspends ce jour-là mon quartier d’enfance bien plus haut que l’East Village.

– –

Extrait du recueil inédit Auberge de jeunesse.

La poésie, ça sera toujours mieux maintenant

 « Écrire c’est creuser un puits pour en remplir un autre. »
Thomas Vinau, Les Derniers seront les derniers, éditions Le Pédalo ivre, 2012.
« Écrire c’est répondre aux questions que personne ne vous pose. »
Jean-Pierre Georges, L’Éphémère dure toujours, éditions Tarabuste, 2010.

La poésie est ce que chacun en fait. Chaque époque créé les formes poétiques qui lui sont nécessaires. En ce sens, j’attends d’un poème qu’il soit évident et pertinent pour celui ou celle qui l’écrit ou le lit, mais surtout qu’il soit ancré dans une contemporanéité, plutôt que dans une recherche de forme ou de continuité d’un quelconque courant poétique. La poésie, ça sera toujours mieux maintenant.

Il y a des évidences et des choix qui s’imposent avant l’écriture. Cela exige de se poser la question : quelle poésie pour aujourd’hui ? Pour ma part, j’ai fait mes choix. En poésie, ne jamais dominer l’autre. Le lecteur, le voisin. La poésie doit exclure toute forme de domination culturelle et sociale par le langage. Ne pas chercher à convaincre. J’aime quand le poème témoigne d’une vérité, pas d’une conviction. Qu’il fasse l’inventaire. L’état des lieux avant de signer le bail. La poésie est le contraire de la rhétorique. Pas de bling-bling ou de grandiloquence. Pas de coup de marteau en trop. Elle n’est pas la langue des médias. Elle est une alternative au déterminisme. Elle me permet de choisir d’où je viens et comment je le dis. Néanmoins, j’aime quand la poésie est ancrée dans la réalité et le contexte social du poète. Quand elle me confirme ce que j’ai au fond de la tasse tous les matins ou qu’elle change ma perception d’une situation. Je ne lis pas et je n’écris pas pour m’évader. Il y a la vraie vie pour ça.

Écrire de la poésie est pour moi autant récréatif que nécessaire. Récréatif, dans le sens où je ne me force pas à écrire. Nécessaire car ça me permet de réajuster ce que j’ai manqué de formuler ou d’accomplir dans la vraie vie. Elle me permet de rectifier le tir ou d’amplifier un geste.

Mon écriture se nourrit du langage parlé. La publication n’est pas une étape mais un autre parcours. Je veux continuer à publier, mais je n’écris pas dans le but de publier. La publication n’est qu’une des suites possibles. C’est l’after work ou l’happy hour. Publier c’est construire un livre. Mais avant de construire, faut bien se trouver des briques. Trouver des briques, c’est un peu comme écrire des poèmes.

En ce moment, j’écris peu de poésie. Très peu. Je ne me force pas. N’aime pas l’effort. Écrire beaucoup pour garder peu, pas mon truc. Préfère ne pas trop écrire. Plutôt attendre le bon moment et me satisfaire de tout sauvegarder dans un fichier. Je ne jette pas. Ou si peu. Plutôt, je reformule. Je reformule constamment. Constamment j’aime garder. Même les bribes. Les amorces. Elles pourront peut-être servir.

 

Emanuel Campo.
Lyon, août 2017 – revu en décembre 2017.

« Toi et ton rap » me dit-elle

Quand elle m’a dit vouloir faire un break
j’ai d’abord cru
qu’elle voulait se mettre à la danse hip hop.

Dix subterfuges, débiles, mais qui marchent à condition de travailler dur.

\UN/ J’ai plié mon billet de dix euros de telle sorte que tu croies que j’en ai deux, posés l’un dans l’autre sur la table.

\DEUX/ J’ai plié ma copine de telle sorte que tu croies que j’en ai deux, allongées l’une sur l’autre comme sur la photo.

\TROIS/ J’ai plié mon meilleur ami de telle sorte que tu croies que j’en ai plusieurs à mes côtés sur la banquette.

\QUATRE/ J’ai plié mon doigt de telle sorte que tu croies que j’arrive à me couper le doigt rien qu’en tirant dessus.

\CINQ/ J’ai plié mon rire de telle sorte que tu croies que je te trouve méga drôle.

\SIX/ J’ai plié le transat d’une telle manière que tu croies que je m’en vais le ranger.

\SEPT/ J’ai plié mon pull de telle sorte que tu croies que je suis un mec soigné.

\HUIT/ J’ai plié mon corps de telle sorte que tu croies que je suis champion de Bourgogne junior de karaté sur poutre.

\INTERLUDE/ J’ai plié mes orteils, comme ça, pour essayer.

\NEUF/ J’ai plié mes pensées d’une telle manière que tu croies que je maîtrise et que j’ai vécu vingt ans dans un temple Shaolin.

\DIX/ J’ai pris une durite et je l’ai pétée. Et tu crois que je pète une durite.

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19/09/17

Il a d’abord pensé écrire un poème sur la charge mentale

Il a d’abord pensé à quelque chose d’inédit
avec des objets.
Mais il s’est dit
que
Alors il a cherché
un sujet à la mode
un sujet confortable
pas tout à fait subversif
qui ne bousculerait pas ses fréquentations

la charge mentale
les baisses des subventions
les ordonnances
la rentrée.

Il y a quelque chose de lourd dans la recherche
d’artificiel. Ne sachant pas
par où commencer
il arbitre
sans jouer.

Autour de lui : la semoule.
Plein-de-semoule-des-grains-de-semoule
et lui
il pédale
pédale
comme un danseur

comme un coiffeur
comme un styliste
comme un cliché
sur un vélo sans selle
la roue voilée.

Et il a crié
crié
pour qu’elle revienne.

Alors elle est revenue
copycat
sans queue ni tête
niaise et vieille comme le monde
un râteau à la main
une carte de fidélité dans l’autre
l’inspiration.

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13/09/2017