une critique de « FAUT BIEN MANGER »

Critique de « FAUT BIEN MANGER »
paru en 2019 aux Éditions la Boucherie littéraire

 

Merci à l’auteur, anonyme, qui a écrit cette note. Son blog est une mine consacrée à ses lectures et au cinéma.
Il écrit :
« Emanuel Campo (avec un seul m, s’il vous plaît) fait partie de ces auteurs qui œuvrent dans l’ombre, publient leurs textes minimalistes chez des petites maisons (dont cette vénérable Boucherie littéraire) sans bruit et sans esbroufe, mais dont les textes restent durablement en tête. Faut bien manger rassemble des poèmes un peu déprimés, un peu rock’n roll, un peu drôles, un peu tristes, et il ne jongle pas avec la langue française ou de rivalise pas d’érudition. Aucune chance de le voir dans un futur Lagarde et Michard sur les trésors de la sémantique française. Mais ces petites pièces, peut-être lointainement héritées après tout d’un Ponge (Carver est cité comme modèle, et c’est vrai qu’il y a la même attention minutieuse aux détails de l’existence), mais d’un Ponge qui aurait goûté aux vicissitudes du monde moderne, déploie une poésie directe qui touche bien là où il faut. Chronique du travail, avec ces réunions d’entreprises infernales ou ces « afterworks » pourris, chronique d’une solitude dans une grande ville moderne, chronique d’un mec qui tente malgré tout d’écrire quelque chose et se trouve d’autant plus exclu du système qu’il fait de la poésie contemporaine, c’est tout ça à la fois, plus la confession d’un homme déclassé, abattu par la trivialité du monde. Une sorte de poésie du quotidien, qui peut prendre aussi bien la forme d’une pensée le temps d’une mixtion (agrémentée peut-être d’onanisme), d’un achat à la boulangerie (le texte le plus marrant), d’un repas à la cantine ou d’une soirée poésie en compagnie de ses collègues auteurs : à chaque fois, ça percute ; le rythme, rapide et scandé, prend peu à peu des allures de slam, de morceau qu’on imaginerait bien mis en musique ; les mots, répétitifs, choisis la plupart du temps dans le registre le plus trivial qui soit, se changent en or. On aime ces pages qui ressemblent à des discours directs pour relever l’étrangeté ou le ridicule d’une situation, comme ce poème, « C’est bon », disposé en trois colonnes pour pointer la répétition idiote des mêmes formules de professionnel, ou ces dialogues sans sens avec un chauffeur de bus, un ami fasciné par le « métier » de poète ou une boulangère effarée. Campo a la politesse du rire, et pour cacher son profond désarroi presque métaphysique par rapport à sa vie et aux choix impossibles qu’il doit faire pour la vivre, il préfère fabriquer de petites pièces drôles et absurdes plutôt que de balancer les grandes orgues. C’est tout à son honneur et ça permet à ce joli recueil de toucher simplement le cœur. »

Sélection 2020-2021 du Prix des Découvreurs

Mon recueil Faut bien manger publié aux éditions la Boucherie littéraire figure dans la sélection des titres en lice pour le Prix des Découvreurs. Le jury est constitué de plusieurs centaines de lycéens et de collégiens de différents établissements volontaires de l’ensemble des académies de France. Alors forcément, je suis très heureux d’être associé à cette action. Tous ces ados qui vont lire ces livres de poésie contemporaine, c’est formidable. J’ai hâte de les rencontrer. Je remercie Georges Guillain et l’équipe des Découvreurs. Je remercie aussi mon éditeur Antoine Gallardo pour son engagement dans la conception de ce livre.

Alors si vous souhaitez qu’une classe de votre lycée ou collège devienne jury d’un prix de poésie, n’hésitez pas à contacter les Découvreurs. Un cahier est conçu sur chaque livre de la sélection pour aider les professeurs à concevoir un projet d’éducation artistique et culturel, et accueillir, s’ils le souhaitent, un.e des poètes.ses de la sélection.

>> le cahier réalisé sur Faut bien manger < <

> > édito de Georges Guillain concernant la sélection 2020-2021 < <

Faut bien manger sur les Découvreurs

Merci à Georges Guillain pour cet article de fond à propos de Faut bien manger (éd. La boucherie littéraire) sur le blog des Découvreurs (une mine!). Article en entier ici.

VIVRE DE SA PASSION ? OUI. MAIS À QUEL PRIX. À PROPOS DE FAUT BIEN MANGER D’EMANUEL CAMPO.

Les ouvrages nous permettant de nous faire une idée de la façon dont, au jour le jour, je veux dire dans sa réalité triviale et quotidienne, est vécu le métier de poète, sont à mon avis trop rares pour ne pas devoir être signalés. Entre idéalisation romantique et caricature pseudo-naturaliste, il n’est pas toujours facile de se représenter l’existence par exemple d’un jeune homme d’aujourd’hui entré dans les arts, comme aurait dit Murger « sans autre moyen d’existence que l’art lui-même » et « sans autre fortune […] que le courage qui est la vertu des jeunes, et que l’espérance qui est le million des pauvres ».

C’est pourquoi le petit livre d’Emanuel Campo, Faut bien manger, publié l’an dernier par La Boucherie littéraire, ne doit pas être négligé. Certes, on ne saurait affirmer sans se montrer un brin complaisant, qu’au strict plan littéraire, l’ouvrage apporte quoi que ce soit à l’histoire de la poésie. Écrit avec une certaine désinvolture, recourant à bien des facilités du moment, peu ambitieux donc sur la forme, le travail d’Emmanuel Campo intéresse par autre chose. Une sorte de sincérité ou d’honnêteté retorses par lesquelles il parvient, nous dévoilant l’envers du décor, à faire de ses propres faiblesses, une force et à nous sensibiliser de cette manière aux principales contradictions que la condition d’artiste qui est la sienne, oblige à affronter.

De fait, Faut bien manger – titre révélateur – ouvre comme une série de petites fenêtre sur ce que signifie, pour un poète, un artiste, le fait de se refuser au travail salarié pour s’assurer le bénéfice d’une vie plus confortable. Alors c’est sûr, faut bien aimer les pâtes ; recourir à l’occasion à quelques petits boulots pas toujours rigolos ; traverser bien des moments de doute et de déprime ; et lorsque c’est un peu trop dur de sentir qu’on déçoit bien des membres de sa famille, se surprendre à imaginer d’autres métiers qui donneraient la possibilité de continuer quand même, avec plus de sécurité, son activité d’artiste. Mais quelque chose apparemment de plus fort, comme une exigence intérieure, un dégoût aussi, comme viscéral de l’embrigadement social et de la soumission aux actuelles normalités, l’emporte. Jusqu’à rendre même difficile la relation avec d’autres artistes que leur désir de réussite aura transformé, en tristes et insupportables « communicants » de leur propre travail.

C’est, me semble-t-il, l’utilité première de la poésie que de maintenir dans l’espace de plus en plus dévitalisé, fabriqué, manipulé dans lequel nous baignons, l’exigence d’une parole non pas « vraie » mais toujours reliée, comme charnellement, viscéralement, à notre humanité profonde. Aussi, face à ces flux inconsistants mais déréalisants de parole qu’on voit par exemple inonder les réseaux, la meute des satisfaits qui se gratulent, se congratulent, font l’important, exhibent des misères comme s’il s’agissait des toutes nouvelles merveilles du monde, face aussi à tous ceux qui, sans trop savoir à quoi le métier oblige, l’envient, avec un sentiment coupable, de « pouvoir vivre de sa passion », le grand mérite d’Emanuel Campo est d’opposer une attitude, un ton, une liberté, une forme aussi de santé morale, d’incarnation, qui lui permettent de refuser la posture et de ne pas se montrer entièrement dupe de toutes les connivences, les malentendus, les travers, les faux-semblants et les déprimantes trivialités, sur lesquels reposent, quoi qu’on fasse, les formes sociales de l’engagement artistique. Il faut lire à cet égard le texte qu’il consacre à raconter, de l’intérieur, l’une de ses lectures dont il met d’ailleurs en lien la captation vidéo. Sans bien sûr qu’on puisse les ramener aux grimaces dont me parlait le grand tableau de Pelez auquel j’ai tout dernièrement tenté de rendre hommage, les « mines », « simulacres » et « cabotinages » divers qu’évoque ici, même au second degré, notre jeune poète ne sont pas sans dire quelque chose d’une certaine misère de notre poésie d’estrade ou de café qui pousse des procédés élaborés depuis longtemps par des auteurs d’envergure – ici par exemple Gherasim Luca – pour amuser des galeries qui finalement n’en ont pas grand-chose à faire. Venues qu’elles sont, pour la plupart, pour un semblant de convivialité.

Dans cette perspective, l’ouvrage d’Emanuel Campo prolonge un peu pour moi ce qu’on peut retenir de certains ouvrages tels que Chasseurs de primes de Joël Bastard ou du Vocaluscrit de Patrick Beurard-Valdoye dont j’ai en leur temps rendu compte. Son caractère salubre vient de ce qu’il ne se paie pas contrairement à bien d’autres d’illusions ou de prétentions excessives. Et surtout, laisse sa place au doute. Ce pourquoi il nous parle et se révèle, au fond, intelligemment humain.

 

Maison et Faut bien manger par Denis Morin

Denis Morin

Note de lecture par Denis Morin sur mes deux ouvrages à la Boucherie littéraire publié sur son blog. Extrait :

« Les textes sont savoureux, débordent d’esprit, traitent du couple, de la famille, de la société, des communications insensées. On sourit devant l’absurdité de l’existence, mais au fait on pourrait se demander si ce ne sont pas les gens qui tombent dans l’absurdité sans s’en rendre compte. À vous de juger. Ces textes valent la peine d’être lus à voix basse dans le transport public, dans le confort du salon ou sur une scène bien éclairée, micro au bec. »

à lire ici en entier.