« Faut bien manger » sur Poezibao

Merci à Jean-Pascal Dubost pour sa critique de Faut bien manger publiée dernièrement sur Poezibao. Article à lire ici dans son intégralité.

Emanuel Campo, Faut bien manger, La Boucherie Littéraire
Le titre est une expression parlée, familière, une de celle de la vie courante qui nous amène souvent à tronquer les phrases par rapidité linguistique et pour répondre à la vie vite. Se dit « faut bien manger » par désabusement las et par excuse de ne pouvoir autrement faire. Emanuel Campo, en assez droite hoirie du réalisme carvérien (revendiquée : « Une fois de plus, la lecture/d’un poème de Raymond Carver m’inspire/un recueil entier »), Emanuel Campo a choisi, au contraire cependant de l’auteur des Vitamines du bonheur, a choisi d’en rire jaune par les voies du sarcasme teinté d’auto-dérision, en cela héritant de Richard Brautigan, mais l’absurde anamorphique en moins. Toute situation peut générer une pensée-poème satirique chez ce poète à la fois désinvolte et impertinent, qui laisse aller et parler ses pensées comme elles viennent en les coupant en vers. Cette poésie relève du spoken word, pratique spontanément orale et urbaine de la poésie dans laquelle Emanuel Campo exerce ses talents, avec le courage de ne pas faire dans la dentelle, de n’épargner personne et ne pas verser dans la séduction :

C’est quand j’ai vu
la vieille dame éternuer
au-dessus du buffet
à volonté
que je m’suis dit
« T’as raison. On aurait dû se faire un kebab. »

Profitant de saynettes de la vie quotidienne, il fait rythme, car les poèmes ne sont pas simples transcriptions des observations, et cela est ce qui préserve les poèmes de la banale banalité d’être simplement banals et sans aucune envergure. […] On imagine fort bien certains des longs et très longs poèmes dits sur scène, micro à la main, comme apparemment improvisés, dits de mémoire et en dansant, comme le fait si excellement John Giorno. Emanuel Campo est de cette veine, moins « humaniste » que le géant américain. Il prend cependant le risque de déplaire, ce qu’on attend quelques-fois des poètes, dans leur liberté de parole affranchie du politiquement et socialement correct des temps d’huy. Jean-Pascal Dubost.

Chronique de « Maison » sur Poezibao

Samedi 19 mars.
Nous sommes dans le train en direction de Toulouse pour y donner un concert.
Mon partner me tend son I-Phone.
« Tiens, regarde. »

Sur son fil d’actualité Facebook, je découvre une note de lecture de mon recueil Maison – Poésies domestiques écrite pour le site Poezibao (actualité de la poésie contemporaine) et signée  Jean-Pascal Dubost. De quoi me mettre en joie pour les jours suivants. Un grand merci à lui pour cet article qui témoigne d’une lecture approfondie du recueil.

La Boucherie littéraire est une toute nouvelle maison d’édition de poésie, sise dans le Luberon, qui vient de publier une salve de quatre poètes1, ce qu’il faut saluer, car il n’est pas que des disparitions à déplorer, dans le milieu de la poésie, mais aussi et surtout des créations à soutenir. D’autant saluer, cette généreuse entreprise, qu’elle prend le risque de publier le premier livre d’un jeune poète de 32 ans, Emanuel Campo, Français et Suédois, poète pluri-disciplinaire (performer, interprète, musicien, scène théâtrale, spoken word etc.) Il est entendu que la jeunesse ne fait pas la qualité d’un livre, n’est pas Rimbaud n’importe quel quidam au prétexte d’une jeunesse d’artères. Il se trouve que la jeunesse de ce poète apporte une bouffée d’insolence à la poésie, ce qu’il faut signaler. Les poèmes, contrairement à ce que supposerait le sous-titre, n’appartiennent pas à une poésie du quotidien, au sens d’un relevé des faits du quotidien, sur le mode réaliste et neutre, ou néo-réaliste. Si la poésie d’Emanuel Campo est de quelque lignée, nous pourrions citer Tristan Corbière, Roger Lahu, Richard Brautigan, Charles Bukowski et Ian Monk, sur le registre de l’humour tantôt, à tonalité d’auto-dérision. Titre et sous-titre en eux-mêmes ouvrent la porte sur l’humour, un humour tautologique, pour leur cas, puisque le mot « domestique » est, étymologiquement, domesticus, « de la maison », autrement dit lire : « Maison, poésies de la maison », donc. Petite entrée en la matière d’humour, subtilement. Sur ce registre, Emanuel Campo nous ouvre la porte de sa maison, tantôt en rire jaune (Corbière), tantôt en humour décalé décapant presque absurde (Brautigan et Lahu), tantôt en humour noir (Bukowski), humour cruel quelques fois (Ian Monk). La patte de Campo, la personnalité d’écriture sienne, est l’assimilation des pères et phares qui font la sienne, insolente. Pas de grandes révélations sur le monde, on le sait rapidement, dès le deuxième poème :

« Quand j’étais petit,
je croyais que la bande de Gaza
c’était un groupe de rock. »

C’est affiché et clair, le monde est loin, même s’il est dans tous les gestes quotidiens, il est mis à distance par la dérision la plus totale comme dans le poème « Petit  pot, couches et discussion à propos d’économie », où après avoir effectué un tour de planète en l’espace de quelques gestes de la vie domestique :

« et maintenant mon enfant,
que vas-tu faire de toute cette mondialisation qui arrive aux portes de ta bouche ?
À mon fils de 11 mois de répondre :
― Perso, j’en sais rien. Sûrement tout manger. Pose plutôt la question aux fabricants de couches qui tirent profit de toute cette merde. »

Le sarcasme n’épargne personne, pas même l’interlocutrice des poèmes, compagne fictive ou réelle :

« Tu me dis que tu aimes bien la poésie.
En particulier ces courts poèmes japonais
Les sudokus.

Il y a de tout pour ne pas faire un monde, un macrocosme, du sudoku, donc, mais aussi du MMS, SMS, de la pub pour une revue de poésie, un atelier d’écriture, un flash mob, du streaming, du spasfon, des choses qu’on ne trouve pas a priori dans la poésie des poètes du grand vingtième, choses de la vie quotidienne, choses de la vie ordinaire, qui ne font pas rêver, d’un jeune homme sans illusions sur le monde et qui se rattrape en y mêlant des piments humours.
La poésie, dans son extrême-contemporanéité ambiguë, n’est pas épargnée : « Je viens de rentrer d’une lecture/ça manquait de poil/une lecture organisée par une revue de poésie/ça manquait de poil/c’était marqué PERFORMANCE/ça manquait de poil/alors qu’il s’agissait d’une simple lecture qui/manquait de poil etc. »

La platitude est la rampe de lancement des poèmes afin qu’ils décollent, exercice toujours périlleux, de faire poème avec le plat pays qu’est le quotidien domestique. C’est réussi. On sourit. Le tour de force est réussi quand on sourit où ce n’est pas drôle, comme Pierre Desproges savait nous faire rire jaune avec des choses graves. Parfois, on cherche le drôle pour sourire, et on ne le trouve pas, le poème semble tomber à plat, or ce sont les petites incartades de gravité glissées comme peau de bananes verbales.
Poésie insolente, tonique, qui vous fiche une saine petite claque.

Jean-Pascal Dubost

1 En dehors de l’ouvrage ici recensé :
Hélène Dassavray, On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive
Mireille Disdero, Ecrits sans papiers. Pour la route entre Marrakesh et Marseille
Thomas Vinau, p(H)ommes de terre

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