« Kanye West » – Karim Madani

« Mais pour l’heure, dans le studio d’enregistrement de LA, Kanye compose des beats pour Beanie, Peedi Crakk […] et les Black Eyed Peas (bien avant l’embauche de la poupée blonde Fergie, avide de mélodies sucrées et de chansonnettes à la guimauve). Kanye ne prend aucun plaisir à ces instrumentaux. Il n’a pas le moral. Il est venu enregistrer plus tôt que prévu parce qu’il sait que Ludacris doit passer au studio. Luda est un MC d’Atlanta qui monte dans les charts, pas loin d’exploser le Billboard, le classement des hit-parades de l’industrie du disque. Kanye adore l’artiste. Et, en effet, Ludacris ne tarde pas à débarquer, accompagné du producteur Red Spyda et d’un DJ, Whoo Kid. Kanye est pris d’une soudaine inspiration. Il va impressionner le Sudiste avec un freestyle. A peine arrivé, Ludacris est interpellé par Kanye. Le visage de West est secoué de rictus, il a presque la bave au lèvres quand il balance son rap étrange, mâtiné de références universitaires (fraternités, notation, bibliothèques et colocation). Ludacris soupire. « J’ai pas le temps pour ces conneries. Je suis venu enregistrer un morceau et je me barre. »
Kanye a les jambes sciées. Luda l’a humilié, en public.
« Et si je te filais un beat ? » demande Kanye, qui repart à la charge.
Il allume la machine et lâche un instru.
Ludacris ne cache même plus son mépris.
« Je crois que je vais prendre un beat de Red Spyda. »
Le producteur ricane ou tchipe, Kanye ne s’en souvient plus très bien, des années plus tard, mais la honte est toujours aussi cuisante. Whoo Kid plante le dernier clou dans le cercueil de Kanye : « On n’a plus besoin de tes services, mec. »
Le trio se barre dans un halo de fumée de Chronic.
Vingt minutes plus tard, les Black Eyed Peas, Beanie et Peedi Crakk le rejoignent. Les blagues cryptiques fusent. Kanye est complètement déprimé. Il tire sur un joint, sans que cela ne le détende. La séance est fastidieuse, poussive et s’éternise. Kanye n’est satisfait ni de son taf ni des prises des artistes. »

Extrait de Kanye West de Karim Madani, page 26, éditions Don Quichotte, 2016. Plus d’infos.

Otis

www.youtube.com/watch?v=BoEKWtgJQAU

vraiment trop cool

ces deux mecs ont fait du T-shirt blanc un véritable drapeau

ils démontent et recollent la soul comme des constructeurs automobiles

puis nous jettent l’écran dans les yeux

 

ça rappe

si facilement

dérape aussi

 

Ashley Sky et ses copines mannequins

à l’arrière dans la vie comme dans cette Maybach versifiée

s’amusent et se marrent

on les envierait presque

de ne vivre qu’en deux dimensions

sur un support plat

l’existence doit être écrasante

 

nous

on se prend ça

sur le visage on jubile

ben ouais c’est le rêve américain

un poster froissé par l’éloignement

dans une chambre provinciale

 

sur nos cannes on habite le jour loin des capitales

la fin de « Try a little tenderness » dans le corps

et ses GOTTA-GOTTA-NAH-NAH-NAH

en guise de réconfort

la poésie sonore du jeune Otis Redding

me rappelle qu’ado nous nous soignions en nous persuadant être plusieurs.

 

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E.C.