Heptanes Fraxion – Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas (éd. Cormor en nuptial)

Nous sommes quelques uns / nombreux à avoir espéré un jour tenir dans nos mains un livre d’Heptanes Fraxion. Aujourd’hui, le poète au blog de textes blancs sur noir publie son premier livre à compte d’éditeur Il ne se passe rien mais je ne m’ennuie pas chez Cormor en nuptial (Belgique).

Bravo à l’éditeur pour ses choix de fabrication. L’objet est beau, le papier offre un confort de lecture remarquable et la couverture a ce petit grain qui pourrait servir à se frotter les peaux mortes. On retrouve ici du Fraxion en concentré comme l’écrit Grégoire Damon dans la postface du livre. Extrait qui m’a arrêté net :

« il y a toujours quelque chose qui se passe dans le ciel
raton-laveur d’étoiles ou bien giboulées de mars en décembre
historiquement personne ne sait grand-chose
alors autant rester disponible au merveilleux

douceur qui transperce
douleur qui transporte
livres qui consolent »

Oui on ne sait pas grand-chose « alors autant rester disponible au merveilleux ». Une phrase qui parle à l’opportuniste en moi. J’évite de blasphémer au cas où j’me sois gouré dans ma vie de pas-trop-croyant-mais-le-chamanisme-m’intrigue. Parce qu’au final, si j’me trompe, j’veux quand même avoir une place là-haut si y’a moyen. « Livres qui consolent ». 16€ à commander à cormorennuptial@gmail.com.

 

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Lire le blog d’Heptanes Fraxion : http://heptanesfraxion.blogspot.com/

Écouter ses albums avec le musicien Jim Floyd : https://soundcloud.com/jim_floyd/albums

Les pages 72 et 74 de « Soleil plouc » de Laurent Bouisset, éd. Le Pédalo ivre

Il y a des pages qui nous rappellent cette réplique culte de Jurassic Park – un truc du genre « ne bougez pas, sa vue réagit aux mouvements »

Il y a des pages qui nous fixent tout net

Qui feraient se pisser dessus n’importe quel petit malin

Qui feraient se pisser dessus notre personnalité cachée (la 2e au fond à gauche)

Qui stopperaient en moins de deux un troupeau de gnous face à des lionnes

Des pages qui nous rappellent que toutes les deux heures « la pause s’impose »

Des pages qui valent 100 panneaux STOP

Des pages vitrines de grands magasins

Des pages promo pour prolo

Des pages arrêt sur image – on va se mater le ralenti une deuxième fois

Des pages Années qui reviennent en pleine face

Des pages à en faire pleurer la nostalgie

Des « pa pa pa passio passe passe »  pages des pages d’orthophonie

Bref, nous lisions tranquillement un livre de poésie en mode vitesse de croisière OKLM

La même vitesse dans laquelle on s’enlise parfois

On lit sans faire attention à ce qu’on lit

Les pages défilent

Les poèmes aussi

Sans parler de l’esprit qui divague

Vague…

On pense à autre chose

Merde j’ai pas oublié de ?

Ou peut-être que Julien m’a…

Cet état qui nous fait revenir quelques pages en arrière quand là j’comprends plus rien à ce que je suis en train de lire

Mais. Dans cet état-là, seules des pages spécialement conçues pour nous, peuvent nous recentrer sur l’ici et maintenant

Ce genre de pages qui inspirent des superlatifs ou des phrases comme celles écrites plus haut

Des pages que nous aurions évidemment voulu écrire nous-même, pour nous-même et pour le monde entier

Des pages qui – au fond nous touchent tellement, qu’on aurait peut-être pu quelque part les écrire nous-même

Mais quelqu’un d’autre s’en est chargé

Les pages 72 et 74  du recueil Soleil plouc de Laurent Bouisset aux éditions Le Pédalo ivre sont de celles-là.

12 €. À commander-acheter ici.

La page 72 de « Soleil plouc » de Laurent Bouisset, éd. Le Pédalo ivre, 2018
La page 74 de « Soleil plouc » de Laurent Bouisset, éd. Le Pédalo ivre, 2018

 

Guide de la poésie galactique – Sammy Sapin

Me risque à
contempler une éclipse
de livre. Écrit vraisemblablement
après 2269, ce feuilleton mettant en jeu
le réveillé Sapin🎄 raconte au
14e épisode, page 31, que la recrue 🎄
est envoyée en tant que poète
sur la planète Isidore 5
auprès des « mercenaires Pile-Pile qui ne s’arrêtent jamais-jamais ».
Que
va-t-il lui arriver ? Vite tournons la page. C’que j’m’éclate en lisant ce Guide de la poésie galactique, éditions Gros Textes. Vient de paraître.

Guide de la poésie galactique, Sammy Sapin, 2018, 90 p. 14 x 21 cm, 10 € en commande ici.

Gaspard de la Nuit (extrait)

« – Faites-moi grâce de vos malignités, et dites-moi où est M. Gaspard de la Nuit.
– Il est en enfer, supposé qu’il ne soit pas ailleurs.
– Ah ! je m’avise enfin de comprendre ! Quoi ! Gaspard de la Nuit serait ?…
– Eh ! oui… le diable !
– Merci, mon brave ! … Si Gaspard de la Nuit est en enfer, qu’il y rôtisse. J’imprime son livre. »

Louis « Aloysius » Bertrand (1807-1841), Gaspard de la Nuit, 1842.

5 poèmes et 1 interview dans Terre à Ciel

En juillet, la revue en ligne Terre à ciel avait publié une note de lecture approfondie de mon recueil Maison. Poésies domestiques (éd. la Boucherie littéraire). Aujourd’hui, Terre à ciel récidive en publiant cinq de mes poèmes inédits ainsi qu’une interview à propos de mon parcours, de mes lectures, de poésie… Un format idéal pour se plonger rapidement dans l’univers et le parcours d’un auteur. Donc merci et bravo à l’équipe de Terre à ciel, et spécialement à Roselyne Sibille pour nos échanges, la mise en lien, et à Clara Régy pour ses questions. C’est ici :

« Kanye West » – Karim Madani

« Mais pour l’heure, dans le studio d’enregistrement de LA, Kanye compose des beats pour Beanie, Peedi Crakk […] et les Black Eyed Peas (bien avant l’embauche de la poupée blonde Fergie, avide de mélodies sucrées et de chansonnettes à la guimauve). Kanye ne prend aucun plaisir à ces instrumentaux. Il n’a pas le moral. Il est venu enregistrer plus tôt que prévu parce qu’il sait que Ludacris doit passer au studio. Luda est un MC d’Atlanta qui monte dans les charts, pas loin d’exploser le Billboard, le classement des hit-parades de l’industrie du disque. Kanye adore l’artiste. Et, en effet, Ludacris ne tarde pas à débarquer, accompagné du producteur Red Spyda et d’un DJ, Whoo Kid. Kanye est pris d’une soudaine inspiration. Il va impressionner le Sudiste avec un freestyle. A peine arrivé, Ludacris est interpellé par Kanye. Le visage de West est secoué de rictus, il a presque la bave au lèvres quand il balance son rap étrange, mâtiné de références universitaires (fraternités, notation, bibliothèques et colocation). Ludacris soupire. « J’ai pas le temps pour ces conneries. Je suis venu enregistrer un morceau et je me barre. »
Kanye a les jambes sciées. Luda l’a humilié, en public.
« Et si je te filais un beat ? » demande Kanye, qui repart à la charge.
Il allume la machine et lâche un instru.
Ludacris ne cache même plus son mépris.
« Je crois que je vais prendre un beat de Red Spyda. »
Le producteur ricane ou tchipe, Kanye ne s’en souvient plus très bien, des années plus tard, mais la honte est toujours aussi cuisante. Whoo Kid plante le dernier clou dans le cercueil de Kanye : « On n’a plus besoin de tes services, mec. »
Le trio se barre dans un halo de fumée de Chronic.
Vingt minutes plus tard, les Black Eyed Peas, Beanie et Peedi Crakk le rejoignent. Les blagues cryptiques fusent. Kanye est complètement déprimé. Il tire sur un joint, sans que cela ne le détende. La séance est fastidieuse, poussive et s’éternise. Kanye n’est satisfait ni de son taf ni des prises des artistes. »

Extrait de Kanye West de Karim Madani, page 26, éditions Don Quichotte, 2016. Plus d’infos.

Blaise Cendrars – Hommage à Guillaume Apollinaire

Le pain lève
La France
Paris
Toute une génération
Je m’adresse aux poètes qui étaient présents
Amis
Apollinaire n’est pas mort
Vous avez suivi un corbillard vide
Apollinaire est un mage
C’est lui qui souriait dans la soie des drapeaux aux fenêtres
Il s’amusait à vous jeter des fleurs et des couronnes
Tandis que vous passiez derrière son corbillard
Puis il a acheté une petite cocarde tricolore
Je l’ai vu le soir même manifester sur les boulevards
Il était à cheval sur le moteur d’un camion américain et
brandissait un énorme drapeau international déployé
comme un avion
VIVE LA FRANCE

Les temps passent
Les années s’écoulent comme des nuages
Les soldats sont rentrés chez eux
A la maison
Dans leur pays
Et voilà que se lève une nouvelle génération
Le rêve des MAMELLES se réalise !
Des petits Français, moitié anglais, moitié nègre, moitié
russe, un peu belge, italien, annamite, tchèque
L’un à l’accent canadien, l’autre les yeux hindous
Dents face os jointures galbe démarche sourire
Ils ont tous quelque chose d’étranger et sont pourtant bien
de chez nous
Au milieu d’eux, Apollinaire, comme cette statue du Nil, le père des eaux, étendu avec des gosses qui lui coulent de partout
entre les pieds, sous les aisselles, dans la barbe
Ils ressemblent à leur père et se départent de lui
Et ils parlent tous la langue d’Apollinaire

Blaise Cendrars, Paris, novembre 1918

Raymond Carver « Dimanche soir »

« Sers-toi des choses qui t’entourent.
Cette petite pluie
De l’autre côté du carreau, et d’une.
Cette cigarette entre mes doigts,
Ces pieds sur le divan.
Ce faible écho de rock and roll,
La Ferrari rouge dans ma tête.
La femme soûle qui titube
et se cogne çà et là dans la cuisine…
Mets-y tout ça,
Sers-t’en. »

Poème « Dimanche soir », extrait du recueil Jusqu’à la cascade, publié dans le Tome 9 des œuvres complètes de Raymond Carver aux éditions de l’Olivier.

Kristoffer Leandoer – Hemlösa dikter (Poèmes sans domicile fixe)

Här uppe i norr hänger gud upp och ner i ett träd.
Den kortaste natten är samma natt som den längsta.

Här uppe i norr tror man människan krymps av behov.
Vi har ställt oss bortom det kretslopp som firas ikväll.

Jag vet varför det är så skönt att prata om vädret.
Här finns en resebyrå utan all solgaranti.

När flodvågen kommer, anklagas främst vår regering.
Flodvågen kommer. Stormen. Vad sägs om ljusterapi?

Se Stockholm skamlöst mjölka dagern, droppe för droppe.
Se dagsljusmånen blekt beroende av vinterskyn.

Jag behöver just den mänskliga del som jag skäms för.
Behöver just mitt beroende, begär mitt behov.

Flodvågen kommer. Vår gud är ett utslitet öga.
Jag behöver dig, min återkommande inre natt.

Kristoffer Leandoer, Hemlösa dikter, 2008

 

Ici, au Nord, Dieu pend par les pieds dans un arbre,
Et la plus courte nuit vaut la nuit la plus longue.

Ici, on pense que l’homme a moins de besoins.
Nous nous positionnons en-dehors de ce cycle.

Je comprends l’intérêt pour le temps qu’il fera
car nul ne peut jamais rien garantir du ciel.

Lors des inondations, l’état est mis en cause.
Torrents violents. Vous dites… thérapie solaire ?

Regarde avec fierté Stockholm et ses lueurs,
ses jours creusés de lune et son hiver blafard.

J’ai besoin de ce fragment humain dont j’ai honte
j’ai besoin de cela : besoin de cette soif.

Viens orage, viens : Dieu est un œil arraché.
J’ai besoin de toi, viens là… mon unique nuit…

Kristoffer Leandoer, Poèmes sans domicile fixe, traduits du suédois par Édith Azam avec l’aide de l’auteur, éd. Cadastre8zéro, collection Donc (dirigée par Bernard Noël), 2012.
13 €. Commander l’ouvrage ici.

Maxime Actis « Ce sont des apostilles »

« SDC_1074.jpg
grande chambre éclairée
j’ai pris la photographie tout près du visage
le visage est pris dans la main
le flash s’active aléatoirement
ce sont des tests
sachant que tu ne serais pas prise tu danses et j’essaye la lumière je ne veux rien capturer, mais maintenant ici, là, j’ai tout : c’est flou
il y a une porte noire et cette distance entre l’appareil et toi
il y a nous et nous deux il y a nouer
on ne sais pas plus
ces mouvements c’est un lyrisme pauvre
il va vers toi
il représente mal »

Extrait de Ce sont des apostilles de Maxime Actis aux jeunes éditions série discrète, 2016, 9€, le mec n’a pas trente ans ou presque, virgule, il est membre du collectif Bêta, le genre de phrase qu’on n’a pas envie de finir mais il le faut, à lire, point.

Marlène Tissot – Lame de fond

P1080277Un jour, j’ai pas dormi de la nuit,
j’ai relu.

Pour reprendre le premier vers d’une série de poème que Marlène Tissot publie sur son blog. Ma colocataire au sein des éditions la Boucherie littéraire a publié son dernier livre Lame de fond. Un livre de proses que je considère comme un copain de voyage.

Un extrait :
« Je voudrais écrire mieux. T’écrire avec assez de légèreté planquée sous le masque rigide de la syntaxe pour que l’histoire soit tissée d’autre chose que de mots, pour que tu puisses me lire même si tu n’es plus là. Je voudrais t’écrire mieux et ne surtout pas faire de toi un mythe, un monstre, un banal héros de fiction. Écrire comme on souffle sur les braises. »

Les livres de la Boucherie littéraire se trouvent ou se commandent en librairie.

Benoît Jeantet – Et alors tout s’est mis à marcher en crabe

P1080275 Nouvel ouvrage publié aux éditions Le pédalo ivre dont la collection « poésie » joue un rôle de « Pascal le grand frère » pour bon nombre de lecteurs. Aujourd’hui, dingue ! Le recueil de proses Et alors tout s’est mis à marcher en crabe de Benoît Jeantet. Rare que la première page d’un livre me rentre dedans de la sorte :

« Cette gare est une plaine. Une plaine de visages maigres et de rêves qui empestent la vieille pisse. Des rêves tristes et sombres. Des rêves aux amours jaunes. Des rêves assoupis sous la poussière de la ville. La ville est rousse. Rousse et pelée comme une chienne. Une chienne inutile et malade. J’ai aimé cette ville. Si vous saviez comme j’ai aimé m’endormir dans les bras pleins d’histoires de cette ville. J’ai aimé cette gare. Oh, à un point que… Et puis il a fallu que ça arrive ; que ça nous arrive. »

Plus loin :
« Il me semble que les yeux ne suffisent plus, de nos jours, à séduire les filles. Il y a pourtant des tas de saules tortueux, et même des tas de branches lambda qui rêvent encore de remettre les pendus à l’heure. »

Ici :
« L’anxiété, l’alcoolisme, la paranoïa ne sont que des symptômes. Le mal dont souffre ce matin est bien plus profond en vérité. Ce matin voudrait qu’on s’occupe de lui. Qu’on fasse attention à ses frasques d’ado attardé. Voilà encore un matin qui a besoin d’amour. »

Là-bas mais pas tout à fait à la fin :
« C’est durant un face à face assez insoutenable avec un kilo de carottes en colères que je me suis fais cette réflexion. Cette réflexion la voici : je n’ai pas toujours été cet homme de 43 ans avec des tas de rêves roulés en boule – tout chiffonnés  au creux des poches. Et voilà pour cette réflexion. »

C’est un livre qu’on s’offre. Pour le commander c’est ici.

 

François Jullien « Nourrir sa vie »

Picasso me paraît même fournir le meilleur commentaire […] : « Chaque être possède la même somme d’énergie. La personne moyenne gaspille la sienne de mille manières. Moi, je canalise mes forces dans une seule direction : la peinture, et lui sacrifie le reste – vous et tout le monde, moi inclus. » Quiconque a dessein de faire œuvre devrait, je crois, l’inscrire en exergue à sa vie pour résumer son exigence : la condition de cette œuvre est de ne pas « gaspiller » mon souffle-énergie et, pour cela, de me retirer volontairement (ascétiquement) de tous les investissements ordinaires entre lesquels va se dispersant ma vitalité et de les sacrifier – immoralement (« égoïstement »), jugera-t-on du dehors – pour me concentrer sur ce seul objet. Car c’est bien à ce niveau foncier du vital et de son économie, et non, comme on croit, à celui du talent, du génie, de l’inspiration ou, selon l’autre versant, de la patience et du travail (tout cela n’est que conséquence), que l’œuvre trouve sa possibilité effective et commence à se développer sans forçage artificiel, parce que ayant enfin trouvé son fonds propre alimentant généreusement la création.

François Jullien, Nourrir sa vie à l’écart du bonheur, page 80, éditions du Seuil, 2005.

Ashraf Fayad, un extrait de « Instructions, à l’intérieur »

« Nous sommes des comédiens non rétribués
Notre rôle… rester debout, nus comme notre
mère nous a mis au monde. Comme la terre
nous a mis au monde. Comme nous ont enfantés
les bulletins d’informations, les rapports
volumineux, les villages attenant aux colonies de
peuplement et les clés que mon grand-père garde encore.
Pauvre grand-père ! Il ne sait pas que les serrures ont été changées.
Malédiction, ô grand-père, ces portes qui
s’ouvrent avec des cartes magnétiques, ces eaux
de drainage qui passent près de ta tombe.
Malédiction, ce ciel fermé à la pluie.
Qu’à cela ne tienne ! Tes os ne peuvent pas
pousser dans le sable. Le sable est donc de
nouveau la cause de notre sous-développement.
Grand-père ! Je me présenterai à ta place au jour
du Jugement dernier car mes parties intimes ne
sont pas inconnues des caméras.
Sera-t-il permis de filmer le jour du Jugement dernier ? »

Ashraf Fayad, Instructions, à l’intérieur, poèmes traduits de l’arabe par Abdellatif Laâbi, Le Temps des Cerises éditeurs, 2015.

La 4e de couverture :
Né à Gaza en 1980, Ahsraf Fayad est un poète et artiste palestinien qui vit en Arabie Saoudite. Il a d’ailleurs représenté ce pays lors de la Biennale de Venise en 2013.
Des extrémistes religieux l’ayant accusé d’avoir écrit des poèmes athées, il a été condamné à mort, le 17 novembre 2015.
Une campagne internationale s’est engagée en sa faveur. Et le 2 février 2016, la Cour d’appel a décidé de commuer la peine capitale en huit ans de prison et huit cent coups de fouet.
L’action se poursuit pour que soit libéré Ashraf Fayad.

En savoir plus :
– note de lecture de Claude Vercey : I.D. n°628 : Faire du coeur un dieu
– article publié par BibliObs
Ashraf Fayad : 800 coups de fouet pour un poème

« Demande à la poussière » John Fante

demande à la poussière

Mon passage préféré du livre :

« Je les vois tituber à la sortie de leurs palais du cinéma, même qu’ensuite ils clignent leurs yeux vides pour affronter de nouveau la réalité ; ils rentrent chez eux encore tout hébétés et ils lisent le Times pour voir ce qui se passe dans le monde. J’ai vomi à lire leurs journaux, j’ai lu leur littérature, observé leur leurs coutumes, mangé leur nourriture, désiré leurs femmes, visité leurs musées. Mais je suis pauvre et mon nom se termine par une voyelle, alors ils me haïssent, moi et mon père et le père de mon père, et ils n’aimeraient rien tant que de me faire la peau et m’humilier encore, mais à présent ils sont vieux, en train de crever au soleil au milieu de la rue, en pleine chaleur, en pleine poussière, tandis que moi je suis jeune, plein d’espoir et d’amour pour mon pays et mon époque ; alors quand je te traite de métèque ce n’est pas mon cœur qui parle mais cette vieille blessure qui m’élance encore, et j’ai honte de cette chose terrible que je t’ai faite, tu peux pas savoir. »

Demande à la poussière, John Fante, 1939, 1980.
Traduit de l’américain par Philippe Garnier, Christian Bourgois éditeur, 1986.

Maram al-Masri « Elle va nue, la liberté »

Deux extraits de ce livre utile et beau :

2

Une femme se plaint devant le sultan ;

ses soldats ont volé son bétail

pendant son sommeil.

Le sultan lui dit :

Vous devez garder vos troupeaux

et ne pas dormir.

Elle lui répond :

J’ai pensé que vous veilliez sur nous, altesse…

Alors j’ai dormi.

5

L’avez-vous vu ?

Il portait son enfant dans ses bras

et il avançait d’un pas magistral

la tête haute, le dos droit…

Comme l’enfant aurait été heureux et fier

d’être ainsi porté dans les bras de son père…

Si seulement il avait été

vivant.

Maram al-Masri, Elle va nue, la liberté, Éditions Bruno Doucey, 2013.

Aimé Césaire « nouvelle bonté »

nouvelle bonté Wifredo Lam collection privée © ADAGP, Paris 2011 / © collection privée

 

il n’est pas question de livrer le monde aux assassins
d’aube

la vie-mort
la mort-vie

les souffleteurs de crépuscule
les routes pendent à leur cou d’écorcheurs
comme des chaussures trop neuves
il ne peut s’agir de déroute
seuls les panneaux ont été de nuit escamotés
pour le reste
des chevaux qui n’ont laissé sur le sol
que leurs empreintes furieuses
des mufles braqués de sang lapé
le dégainement des couteaux de justice
et des cornes inspirées
des oiseaux vampires tout bec allumé
se jouant des apparences
mais aussi des seins qui allaitent des rivières
et les calebasses douces au creux des mains d’offrande

une nouvelle bonté ne cesse de croître à l’horizon

_ _

Poème écrit à partir du tableau nouvelle bonté de Wifredo Lam, extrait de Moi, laminaire…

Jean-Pierre Georges – « Je m’ennuie sur Terre »

Je surfe sur la vague Jean-Pierre Georges qui sévit depuis quelques temps sur la blogosphère de mes colocataires. D’abord, quelques articles du poète Frédérick Houdaer, qui m’a fait découvrir Jean-Pierre Georges devant un stand Gros Textes en juillet dernier, puis plus récemment un poème de Thomas Vinau où il  évoque le Monsieur.

A mon tour de mettre en lumière deux vers tirés de son livre Je m’ennuie sur Terre, édité par le Dé Bleu en 1996, véritable révélation pour le jeune lecteur que je suis.

« Pourquoi j’écris parce que je ne
connais pas mon bonheur »

Charles Bukowski – Shakespeare n’a jamais fait ça

J’avais fait beaucoup de lectures, d’abord dans des librairies, puis des universités, puis des boîtes de nuit, ça payait le loyer quand j’en avais vraiment besoin. Le public préférait un certain type de poésie dans ces endroits-là, surtout dans les boîtes de nuit, où j’étais en compétition avec les groupes de rock. Les gens voulaient des poèmes qui les fassent marrer. Le proprio d’une boîte située près de la côte n’arrêtait pas de me téléphoner : « Écoute, tu fais venir chez moi plus de monde que les groupe de rock. Je veux te mettre à l’affiche tous les jeudis, vendredis et samedis soir. » Un détail lui échappait : chaque fois qu’on réécoute une chanson, elle a des chances de s’améliorer, mais chaque fois qu’on réécoute un poème, il ne fait qu’empirer.

Charles Bukowski, Shakespeare n’a jamais fait ça, traduction par Patrice Carrer et Alexandre Thiltges, 13e Note éditions, 2012. Édition originale chez City Lights Book, 1979.

Antoine Émaz « Un si long silence »

« Arrêter ? Écrire un poème, c’est commencer, toujours. Donc on n’arrête pas, simplement on ne commence plus. Et ce n’est pas désert mental, dépression sablonneuse, non. Simplement vivre n’accroche plus les mots. Vivre va, les mots vont, mais ça ne s’articule plus.

Avant, le poème allait de soi, quand il allait. Il ne va plus. On doit faire avec cette donne ; la jouer n’est pas le plus difficile ; l’ennui, c’est le temps, la peau de chagrin. »

*

« Pas plus d’angoisse de la page blanche que de désir qu’elle se noircisse. Je commence même à pouvoir avouer cet état, sans trop de honte, sans vanité non plus. C’est. Nul besoin de compassion. C’est. »

*

« Tu n’as rien à dire, soit. Mais tu dis que tu n’as rien à dire. Donc tu n’es pas vaincu. »

Antoine Émaz, 3 extraits de « Un si long silence » publié dans D’écrire j’arrête, supplément de la revue Triages 2012 aux éditions Tarabuste.

Rap, Hip Hop 30 années en 150 albums de Kurtis Blow à Odd Future – Sylvain Bertot

Extrait de la page 290 consacrée à l’album Know Future (2000) des Shapeshifters.

« Vous vous souvenez de vos premiers émois d’adolescents ? Quand vous découvriez des musiques que votre mère et les nases de la classe ne comprenaient pas, pendant que vous, sincèrement,  vous adoriez ? Vous vous rappelez de la griserie que vous avez alors ressentie ? Et bien avec Know Future, ça recommençait, c’était pareil. Sauf qu’avec ce disque, ce n’était plus seulement vos parents et vos camarades de classe qui faisaient la tête. C’était vos voisins, c’était vos gosses, c’était les puristes hip hop et les rockeurs snobs qui ont découvert le rap dans Wire, tous ces gens influençables et écrasés sous le poids des conventions, quoique persuadés du contraire, et qui se montraient incapables d’observer les choses depuis la planète Mars, comme les Shapeshifters prétendaient le faire sur cet album improbable qu’il était impossible d’éccouter d’une seule traite, mais qu’il était inimaginable de goûter autrement que de bout en bout. »

Sylvain Bertot, Rap, Hip Hop 30 années en 150 albums de Kurtis Blow à Odd Future, éditions Le mot et le reste, 2012.

Ecouter deux extraits de Know Future des Shapeshifters : MAN2APE2FISH (FEAT. SOLE­, SIXTOO, BUCK65 & RAS HEBREW) et AREA 52.

Le blog musical de l’auteur : Fake for real.

« La dernière fête » les mémoires de Gil Scott-Heron

Couverture. Source : site des éditions de l’Olivier

« Comme j’ai passé toute ma vie aux États-Unis, j’ai trop souvent vu des événements délibérément déformés, trop de moments de notre histoire et de notre vie présentés de façon tendancieuse pour avoir la force de les rectifier ou de les battre en brèche. Tout ce que je peux dire, c’est que si la vérité compte à nos yeux, comprenons que tout ce qui a de la valeur se mérite, doit être creusé, pensé, amené au terme d’un effort digne du bénéfice immense que cela apporte à notre vie.

Le prix à payer sera élevé. Le temps et la sueur investis dans cette quête nous coûteront en heures et en jours au détriment d’autres activités. Nous coûteront en relations qu’il faudra entretenir avec des personnes qui ne supporteront pas d’être négligées. Pour cela aussi, il faudra sacrifier tout le reste. La passion avec laquelle on s’engage dans quelque chose d’intangible nous privera du soutien même dont nous aurions tant besoin.

Ce qu’il nous faut, c’est un soutien qui dépasse la compréhension. Il y a des turbulences à chaque étape avec ceux qu’on essaie d’atteindre, ceux qui nous évitent parce qu’on ne cherche pas à se faire comprendre. Notre seul espoir de faire perdurer la solidarité au delà de la compréhension, c’est la confiance. Tout ceux qui déclarent nous aimer savent qu’ils ne peuvent comprendre tout ce dont nous avons besoin, c’est là que la confiance est nécessaire pour nous mener au bout du chemin. La vérité pour laquelle on veut écrire, chanter, qu’on veut faire sentir aux autres, on ne la poursuit pas parce qu’on l’a vue, mais parce que les Esprits nous ont dit qu’elle était là. »

Extrait de La dernière fête, mémoires de Gil Scott-Heron, traduit de l’anglais par Stéphane Roques, éditions de l’Olivier, 2014. Le site de l’éditeur français.

« Dieu n’existe pas et Brian Wilson est son fils » Lou Reed

« Pendant toutes ces années, il y avait ces groupes de rock magnifiques qui pépiaient et gazouillaient comme des moineaux sous hypnose, et si on n’était pas déjà mort, on en devenait dingue, parce que c’était maintenant que ça se passait et que personne n’avait écrit un bon livre ou fait un bon film, juste de la merde, encore et encore. La seule poésie du siècle digne de ce nom, c’était la poésie qu’on entendait dans les albums de rock. Tout le monde savait ça. […]

Décerner un prix de poésie quel qu’il soit est obscène. Tout comme se soucier d’Ezra Pound. Et des collections de poésie de Yale. Les facs sont faites pour tuer. Elles ont quatre an pour vous tuer. Et si vous ne vous y attardez pas, alors le service militaire, qui a été fait par et pour les vieux, est là, lui, pour vous tuer. Pour tuer vos instincts, votre amour, la musique. La musique est la seule chose vivante et bien en vie. N’appelez sous les drapeaux que les gens de plus de quarante ans. C’est leur guerre, laissez-les s’entre-tuer. […]

La seule poésie de ces vingt dernières années, c’est celle qu’on entend à la radio. Il faut détruire les facs. Elles sont dangereuses. Les cours pour amateurs de musique. La poésie métaphysique. La théologie. Les sondages de Playboy Jazz. Les partiels. Les dissertations. Les tests psychologiques. Les médecins qui essaient de « guérir » les toxicos, alors qu’ils se goinfrent de pilules. Se laisser emporter par la musique. C’est la musique qui nous a permis d’en sortir indemnes. C’est la musique qui nous a empêchés de devenir dingues. La musique des gens. C’est la musique qui passe à la radio. On devrait avoir deux radios. Au cas où il y en a une qui tombe en panne. La musique en concert est mauvaise ces temps-ci parce que les disques sont mieux. La vie dans une baffle.

Le rock’n’roll a englouti toutes les influences. Mieux vaut les musiciens blues que la musique folk blues. Mieux vaut la musique électronique que les musiciens électroniques (c’est-à-dire les Who d’Angleterre et le Velvet Underground de New York). La musique classique est si simple. Franchement, n’importe qui peut en écrire. N’importe qui. C’est une étape, comme quand un bébé fait ses dents. Imaginez le son qu’on obtiendrait si on branchait un micro sur le cordon ombilical d’un nouveau-né. […]

Comment peut-on décerner un prix de poésie. C’est une blague. Qu’est-ce qu’on fait de ceux qui sont EXCELLENTS […]. Aucune instance ne sera donc capable de reconnaître ce que Brian Wilson a fait avec LES ACCORDS ? Et tous ces gens qui ont dit que le travail de Phil Spector était une aberration, le jour où il a sorti le meilleur morceau jamais produit, « You’ve Lost That Lovin’ Feelin' ». […] Dieu  n’existe pas et Brian Wilson est son fils. Brian Wilson ressuscite les accords, en s’inspirant judicieusement de tout… » Lou Reed, 1966.

Extrait de l’article La vie chez les Poobahs écrit par Lou Reed, traduit en français puis repris dans la monographie The Velvet Underground, un mythe new-yorkais (éd. Rizzoli, 2009). Article publié une première fois en 1966 dans le n°3 de la revue Aspen dans son titre original Life among the Poobahs (texte intégral et en anglais disponible ici).

Serge Pey / « QÀU »

« QUAND UNE SALLE

L’APPLAUDISSAIT

COLTRANE

PENSAIT QU’IL N’ETAIT

PAS ALLE ENCORE ASSEZ LOIN

DANS LE RENVERSEMENT

DE SA MUSIQUE »

Extrait de QÀU, Ne sois pas un poète sois un corbeau nous sommes une poignée de corbeaux sur la Terre, Serge Pey, Dernier Télégramme, 2009

Steven Cohen – extrait d’interview

« J’étais devenu un membre parmi d’autres de la couche moyenne du milieu de la danse : un désastre. Sans doute me faut-il envisager de quitter la France à présent. Ici, faire de l’art est devenu mon métier, et a cessé de signifier un risque, de faire aventure. »

Steven Cohen, performer sud-africain, Mouvement n°73 mars-avril 2014.

« d’origine » de Grégoire Damon aux éditions Le pédalo ivre

D’origine, le nouveau livre de Grégoire Damon vient de paraître aux éditions Le pédalo ivre. Plusieurs poèmes m’ont touché. Beaucoup de ses lignes me parlent… J’ai eu du mal à en choisir un extrait sans spoiler. Par exemple, ça, ça me plaît beaucoup :

Un extrait du poème « Awards »

le vide il y en a que ça terrifie
quand ils en trouvent dans le jardin ils le remplissent d’eau et ça fait une piscine
ils invitent les voisins à prendre des photos
pas nous

nous
nous sommes bons
à rien
très bons même
excellents
primés dans tous les festivals
au salon international
de la déprime saisonnière
nous sommes pour la soirée
solaires
habillés maquillés coiffés personnellement
sur tous les tapis rouges par tous les Lagerfeld
car on va nous remettre le prix
cette année encore nous avons été les meilleurs
à que dalle
à rien
[…]

d’origine se commande ici.
Un premier article élogieux sur Poebzine.
Le blog de Grégoire Damon.

ACHETEZ LA POÉSIE DES VIVANTS.