Pour une débénabarisation du quotidien #220-226

Nouvel épisode de « Pour une débénabarisation du quotidien » le feuilleton puéri-tracté écrit à deux pères, Grégoire Damon et moi-même. Pour nous remettre dans le bain, relisons l’épisode précédent ici.

220) Là-bas, des types rentrent écrasés par leur journée, mais rentrent vivants. Le jour d’après, sortent des décombres ces mêmes types écrasés en un instant, mais morts. On sort des types des gravas. On rentre des civières dans les ambulances. Les bâtiments tombent du ciel. Il pleut des poutres.

221) Ici. Rentrer du travail. Sortir de chez soi. Rentrer accompagné. Sortir avec elle. Rentrer dans sa robe. Sortir de ses gonds. Rentrer en formation. Sortir diplômé. Rentrer tôt. Sortir tard. Rentrer dans sa femme. Sortir le bébé. Sortir le chien. Rentrer avant la pluie. Rentrer dans le magasin. Entrez c’est ouvert. Sortez de là. Sortir en force. Rentrer dans la police. Sortir relaxé. Sortir de la Ligue 2. Rentrer dans l’ascenseur. Rentrer dans le tas. Sortir de l’Europe.

222) Ils nous voient mettre la vaisselle dans l’évier, la sortir, puis la ranger dans les placards. Ils nous voient. Ils nous voient mettre notre linge sale dans la machine, le sortir, le plier, puis ranger nos vêtements dans la commode. Ils nous voient. Ils nous voient sortir de la poche le billet de cinq euros puis y remettre la monnaie et le ticket de caisse. Ils nous voient. Ils nous voient le jour glisser l’enveloppe à la Poste et le soir chercher le courrier dans la boîte aux lettres. Ils nous voient. Ils nous voient agiter fièrement nos passeports avant de monter dans l’avion qui nous déversera chez d’autres en touristes sans gêne. Ils nous voient. Ils nous surprendront peut-être un soir dans la chambre parentale sortir des objets des tiroirs et nous les enfoncer dans le corps ou bien découper les membres de certaines personnes de notre famille avant de les emballer dans des sacs de 30 ou 50 litres puis les jeter dans les grands bacs du local à poubelles. Ils nous surprendront mais ils sortiront discrètement la tête de l’embrasure de la porte et garderont silencieusement ce qu’ils viendront de voir. À l’intérieur.

223) On passe nos journées à nous rentrer puis à nous sortir. À rentrer des trucs dans d’autres trucs. À sortir de ces mêmes trucs, d’autres trucs. Véritables poupées russes. Aux accents qui raclent. Aux jambes qui traînent. Aux mains vivantes qui agrippent. Aux mortes qui ne lâcheront pas. On y pense. Y pense.

224) Je parle d’une des premières actions, d’un geste primitif, appelle ça comme tu veux. Une première action, celle de Papa dans Maman, celle de l’accouchement. Une qui suit un premier lancé. Je parle d’une des premières préméditations, du premier transport, décris ça comme tu veux, je parle d’une des actions les plus répandues :

225) le transvasement.

226) Mes fils sont en plein dedans. Ils nous voient. Et nous imitent. Les gnocchis se font une joie de passer des objets d’un contenant à un autre. Ils ne cherchent plus la collision, mais le passage d’un corps dans un autre. Avec classe et naïveté, ils expérimentent le pouvoir décisionnel et améliore leur motricité fine. Et ils répètent le geste, et ils répètent le geste, et le répètent. Pendant ce temps, le corps le mémorise et les prépare à ce qui suit.

One comment on “Pour une débénabarisation du quotidien #220-226

  1. -

    Juste vous dire les garçons, que j’aime votre débénabarisation. elle frappe à mon quotidien, sans brutalité, aucune, tout en ouvrant des sillons. alors, merci.

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