poète x auteur x interprète
poète x auteur x interprète
Poèmes, textes et notes…
Tennos
La vitesse foudroyante du café
Le geste commercial du serveur
La table bancale de la terrasse
L’emballage déchiqueté de la buchette de sucre
La langueur excitée des retrouvailles
Le retard exagéré des trains
La vérité impitoyable de l’incertain
Le chemin inévitable de la pensée
L’immobilité efficace de l’impossible
La lenteur lucide de l’impeccable
Les prédictions incohérentes de l’algorithme
L’archéologie épatante du présent
L’attente habituelle à l’arrivée
L’aspect compromis du plan A
(extrait de Auberge de jeunesse, inédit 2024)
Bilan 2023
2023 fut riche en partenariats. Je remercie
ma maison, la compagnie Étrange Playground, ses adhérentes et adhérents qui m’accompagnent et me portent depuis 13 ans dans mes projets artistiques et les projets collaboratifs.
mes éditeurs, Antoine Gallardo de la Boucherie Littéraire, Yves Artufel de Gros Textes.
Merci aux partenaires qui m’ont accueilli cette année :
la Factorie – Maison de poésie en Normandie (Val-de-Reuil), la Maison Rousseau et littérature (Genève), le CiPM (Marseille), l’Office des Transports Poétik (Grenoble), l’Espace Pandora (Vénissieux), le Salon du livre de Genève, la librairie Au Bord du jour (Voiron), la Médiathèque Philippe Vial (Voiron), le festival Expoésie (Périgueux), la Médiathèque Albert Camus (Antibes), le Printemps des Poètes (Paris), l’Institut des métiers (Clermont-Ferrand), la Minoterie – pôle de création jeune public et d’éducation artistique (Dijon), les Médiatèques du roannais (Roanne).
Lecture-concert avec Eric Pifeteau
Merci à Eric de pulser mes poèmes à la batterie.
Prochaine date : 18 janvier 2024 à l’Athénéum à Dijon. Infos.
Musique avec PapierBruit
Théâtre
Merci à Estelle Dumortier fondatrice de l’association La Traversante (Rillieux-La-Pape), Marion Piqué et Julie Romeuf avec qui je travaille sur les créations théâtrales « Lieux-Dits ».
Merci à Muriel Carpentier initiatrice de la compagne Abysses avec laquelle je travaille sur une création en cours, « BRÛLE ».
Publications 2023
– Un poème inédit dans Montagnes, chemins d’écritures, anthologie constituée par Jean-Pierre Chambon. Merci à lui ainsi qu’aux éditions Voix d’encre, 2023. Site & commande
– Un poème inédit dans la revue Ouste n°31 (2023). Site. Merci à Féroce Marquise et à Dernier Télégramme.
Revue de presse livre
Merci à Lancelot Roumier pour son article à propos de mon recueil Maison. Poésies domestiques (éd. la Boucherie littéraire) sur son blog exopoesie.blogspot.com

Encore des choses neigent
Encore des choses neigent Il y a un étang quelque part
que j’ai connu lors d’une enfance qui débute son processus de glaciation
novembre est un mois sympa
pour créer des choses comme les pâtisseries de l’Avent par exemple
Encore des choses neigent – Ouais on y va deux minutes
Encore des choses neigent J’habite une ville humide
qui commence par un L où le verbe Interrompre
est un bus qui passe jamais à l’heure mais qui passe quand même
Encore des choses neigent Florilège d’événements
Faudrait que nos semaines soient des tableurs
insérer Nouveau jour que les semaines s’épaississent
même un chouïa non ?
Encore des choses neigent …
à peine un centimètre histoire de faire de la boue
et foutre le bordel Comment va-t-on
au travail hein dans ces conditions merde
Encore des choses bougent avec nous dedans
une amie me disait l’autre soir
y a des gens avec qui tout glisse ils gèrent ils sont pas empêtrés
on peut alors (c’est un exemple) tourner la tête et dire
tiens, tu sens pas que l’air est + frais ? c’est tombé d’un coup c’est dingue
Encore des choses neigent et quelque part
un autre truc en nous qui lui ne bouge pas s’agrippe et
nous rappelle que bien des choses sont neutres
c’est une chance
Vous souhaiter d’avoir le choix smiley soleil fleur qui pousse et la playlist qui va avec
❄️ © E. C.
Amar
Amar derrière le bar du Saint-Nic rue Jean-Jacques
nous a toutes et tous entendu
Lire nos poèmes lors des scènes ouvertes
Édition, bourse, manuscrit, lecture-performance, lectorat, n’existaient pas dans nos avenirs
Ces mots n’avaient pas été conçus alors on s’organisait
Faisant les choses comme on pouvait
Avec qui on voulait
Les flyers étaient soigneusement déposés dans les meilleures boulangeries et on s’essayait à Facebook.
On écrivait, on déclamait
On s’écoutait, on applaudissait
Il y avait tous les âges et toutes les écritures
On se donnait de la force même si c’était nul
On disait parfois bof parce que c’était bof
On admirait quand c’était génial, parfois avec une pointe de jalousie alors qu’il ou elle venait de plier la salle. Le premier réflexe était de vite rentrer chez soi pour écrire un nouveau texte pour la scène du mois prochain.
Toute mauvaise énergie, toute mauvaise intention de la part d’un client bruyant arrivé là par hasard qui, découvrant nos soirées, s’opposait en commentant à voix haute nos prestations, était rapidement envahi par un fumet d’ondes positives qui lui faisait fermer sa gueule dans les dix minutes. C’était beau, puissant et sans heurt.
La scène finie, la clientèle partie, certaines soirées se terminaient tard dans la nuit, derrière le rideau baissé, la municipale passant tout près, on continuait en cercle, certains au beatbox, d’autres au chant, on se taxait des roulées en disant à l’autre qu’on l’aimait.
Montréal ichtyoïde
Ses cheveux longs le gouvernent et agissent
Comme une nageoire caudale entre les buildings de Montréal
Son vernis à ongles, on voit comme cinq phares au bout de chaque main
Je le suis puis le perds au coin du dépanneur
Je ne sais pas qui tu es Tout est neuf
L’exotique se multiplie au familier
Tellement humain qu’on ne sait plus
Les silhouettes sont de dos
On se sent comme le dernier
Arrivé comme touriste, reparti comme nouveau.
_ _
E.C. avril 2023
Le livre entrouvert forme une bouche
le livre entrouvert forme une bouche
l’image est là, les sons eux
n’arrivent pas, les mots sont lestés
à l’intérieur un poids
prend son temps et s’ancre
on ne reçoit qu’une grimace
et l’autre, toujours l’autre,
l’autre livre qui ne s’écrit pas.
_ _
E.C.
La première neige de novembre
Manquer la première neige de novembre
Ne plus jamais vivre la
première neige de novembre
On observe les photos
avec lenteur sur l’écran
Elle est tombée
la première neige de novembre
On sent alors
le poids d’un sac
rempli de notre propre voyage
prendre forme dans notre dos
et passer lui-même ses anses à nos bras
En laissant faire
l’instant s’alourdit
L’endroit où l’on va
distance avec vitesse
l’endroit d’où l’on vient
en un long raclement
long raclement
On force au quotidien le regard et l’oreille
vers la moindre miette d’origine contenue dans l’espace
On écoute de l’indie pop
où les notes sont des sapins
où la chanteuse habite une maison rouge
où les roulements de batterie indiquent un lieu familier
On mange des similis pâtisseries achetées à l’épicerie du coin,
on cuisine des semblants de spécialités avec des ingrédients d’appoint,
on cherche des cours de langue dans sa ville,
on adhère à une association pour rencontrer des compatriotes…
Habiter loin
Manquer la première neige de novembre
Ne plus jamais vivre la
première neige de novembre
tombée durant la nuit
découverte au réveil
Se revoir finir son petit-déj’ avec impatience
être le premier à marcher dessus
sortir son visage de la capuche
inspirer un grand coup
happer au passage un flocon imprudent
aller à l’école à la nuit tombée du matin
longer les bâtiments
plonger dans les fenêtres illuminées
marcher avec attention pour ne pas glisser
Réanimer les souvenirs et s’irradier à distance
lorsque s’affiche sur l’écran la photo reçue ce matin
celle de la première neige de novembre
Encore une année où l’on a manqué
La première neige de novembre
La première neige de novembre
_ _
Emanuel Campo, Lyon le 22/11/2022
Retour sur cette saison 2021-2022

Cette saison 2021-2022 fut dense ! J’ai eu plaisir à travailler avec de nombreux collègues artistes cette année. Un grand merci à eux ! Je tiens aussi à remercier tous les partenaires de création et de diffusion que j’ai pu rencontrer, qui soutiennent et programment nos projets.
La saison a commencé par la parution en octobre d’un nouveau recueil, Ligne de défense, avec les éditions la Boucherie littéraire. Ouvrage actuellement en lice pour le prix René Leynaud 2022.
Puis, la sortie de Pléthore, EP 6 titres de PapierBruit (duo que je forme avec l’auteur-beatmaker-interprète Julien Liard) après trois ans de travail. S’en est suivi des concerts au Ninkasi Saint-Paul (69), aux Abattoirs (38) et au Darius Club (39).
Soulignons aussi la naissance d’un duo avec le batteur Eric Pifeteau sous l’initiative de la Maison de la poésie de Nantes pour le festival MidiMinuitPoésie. Une merveilleuse idée qui nous a amené à lire et à jouer pour l’inauguration de la Maison de la poésie de Bordeaux et pour le festival Les Eauditives à Toulon.
Deux projets participatifs d’envergure ont aussi été menés durant toute l’année avec la metteuse en scène Marion Chobert. Projets qui ont abouti à l’impression de deux recueils co-écrits avec des adolescents. Le premier Pas là pour fondre avec la Compagnie Esquimots à la Maison d‘arrêt de Dijon. Le deuxième Trouver ses mots avec la Minoterie auprès de jeunes suivis par quatre structures dijonnaises de soin, d’éducation et d’accompagnement. Les textes des jeunes écrits pour ce livre ont aussi abouti à un spectacle et à un podcast créé par le compositeur Vendôme Uhl.
Lors d’une résidence en janvier à la Factorie – Maison de la Poésie de Normandie – j’ai pu reprendre mon travail d’écriture sur mes recueils en cours.
J’ai pu lire mes textes dans des villes jamais visitées comme Tournai en Belgique lors du Festival Poésie Moteur, ainsi qu’à Montélimar (26) invité par les Cafés Littéraires.
Ce fut aussi une réelle joie pour moi de voir tourner pour sa deuxième saison le spectacle La Compétition de la Compagnie Esquimots, pièce co-écrite avec Marion Chobert, et de partager des moments précieux avec l’équipe.
Enfin, j’ai clôturé la saison la semaine dernière avec l’artiste Charlotte Mollet lors d’une résidence commune aux Fours à Chaux à Regnéville-sur-Mer (50). Nous travaillons actuellement à la création d’un recueil Textes & Linogravures et venons de finaliser un chemin de fer qui n’attend qu’à être présenté à des éditeurs et à des futurs partenaires.
Pour finir, je tiens à remercier le bureau et les adhérents de la compagnie Étrange Playground qui accompagnent, soutiennent et suivent tous mes projets artistiques.
Bel été à vous,
Emanuel
Filtre
Lorsqu’une personne porte une chemise à carreaux, ne t’empêche jamais de lui faire la blague
« Hey, mais c’est pas ta chemise. C’est la chemise à Caro ! »
Cette blague agit comme un filtre
c’est remuant, tu verras des
yeux se diluer des
visages muer des
corps s’é-
loigner, d’autres rester.
L’indispensable reste.
L’indispensable vaut mieux que deux tu l’auras.
Seules les vraies savent.
Seuls les vrais rient.
Seuls les vrais savent.
Seules les vraies rient.
Il y a des blagues pourrites. Porte les tiennes fièrement comme un pin’s ridicule pour accéder à un niveau supérieur de vitalité. La chemise à Caro aura toujours raison. Elle te tiendra chaud. Et dans son enveloppe tu comprendras qu’il n’y a pas d’humour de merde, il n’y a pas de blague pourrite, il n’y a que des gens qui ne comprennent pas.
Ne leur pardonne pas. Sois supérieur. Comme le jambon 😶 en lotus.
Il arrive parfois
que les gens ne comprennent pas
comme un cheveu né sans X
mais il existe bien des poutres.
_ _
E.C. avril 2021
Pesanteur
À 1400 km d’ici on brûle aujourd’hui même
son corps. Nous allumons
une bougie pour l’occasion. Notre manière d’en être.
C’est ma première incinération à distance et je confirme
savoir qu’un corps n’est plus
crée l’état d’une présence
l’effet d’un objet qui tombe
Quelque chose m’échappe encore.
Des gens, faut pas le prendre personnellement
Des gens se rangent dans le désordre.
Derrière des portes certains attendent qu’on les frappe.
Des gens bons font la queue pour de mauvais sandwiches. Ah ah.
Ils rentrent et sortent des boulangeries.
Des gens aux courtes jambes se rattrapent en prenant le bus.
Ils atteignent le QI de la poutre.
Ils se vident dans la ville pleine.
Des gens pleins de vide se remplissent les poches sur le dos des poches.
Des gens au chômage sont cultivés c’est vrai.
Ils s’ennuient à force de commencer des phrases.
Des gens c’est rien, des gens c’est qui, on vote quand déjà ?
Des gens, existent-ils ?
Des gens, c’est à partir de combien ?
Des gens, c’est inexact.
Des gens, faut pas le prendre personnellement.
Ils sont immatriculés et contribuent.
Ils sont assis sur des petites places, à l’ombre d’un tilleul, en fond le coulis de l’eau d’une fontaine.
Ils rient, c’est cool ça rappelle que des gens débranchent.
Des gens débranchent.
Des gens ont une emprise sur d’autres gens et les coulent.
Des gens rient, on le répète.
Des gens ne boivent pas en présence d’autres gens.
Des gens cool, tranquilles, des gens branchés.
Des gens, est-ce une communauté ?
Des gens, je les regarde.
Regarde.
Des gens ne le sont pas.
_ _
E.C. Avril 2021
On enferme les gens dans les portes
On enferme les gens dans les portes.
Les fenêtres prennent la confiance.
La lumière n’a pas ses papiers.
L’isolation, faut les moyens.
L‘isolement est un truc de pauvre.
L’isolement n’est pas une île.
Une île est une matière entourée.
Un ballon est parfois une île.
Deux jeunes dans un square roulent un ballon.
et non loin de là
les travaux qui raclent
assourdissants gravats des mains en mouvement
le geste interrompu – réconfort d’un café d’automne
le périph’ revient sur ses pas
le quartier pousse les grues dépassent
le sol croît le ciel perd
du terrain son mystère
instant gravé
noir et sans sucre.
_ _
E.C.
Valhalla
Je reviens perdant d’un match de basket.
Les mecs d’en face c’était le tiers état.
Pas des mains, mais des fourches et l’envie sévère de couper des têtes.
Moi, pur produit du secteur tertiaire, n’ai pas fait le poids face à ces étagères.
J’ai sucé mes phalanges une dernière fois avant le deuxième quart-temps.
Les LED de mon torse, une à une se sont éteintes
et c’est voûté que je m’insère dans mon trajet retour.
Une pièce irrattrapable s’est détachée.
Quand ? Jsais pas.
Elle doit gambader quelque part au top de sa forme.
C’était la meilleure pièce de mon moteur.
Je repense à elle parfois.
Je voudrais être le meilleur.
Je me souviens d’un temps où je rentrais sur le terrain le sourire aux lèvres
avec l’espoir brillant d’en finir avec la vie
laissant mon corps aux chiens et au numérique
pour que mon âme pépère-pépère
puisse festoyer tranquille-posée
avec mes artistes favoris
dans le Valhalla des warriors qui se la raclent.
_ _
février 2020.
Burn out
Hypnotisé par le barbecue,
je réponds aux braises par un silence tartare.
Je songe aux tâches à faire avant demain. Soudain,
la-viande-la viande-la-viande me lance-t-elle ça-crame.
Je reconnecte avec moi-même, embué, dans un nuage noir d’urgences immédiates.
Il s’agit dans un premier temps de sauver les chipolatas
pour vite nourrir les enfants qui s’impatientent.
Les merguez n’ont plus rien à dégorger. Elles se tordent de douleurs.
Mon réflexe : verser ma bière dans le feu. Quel trou de balle entends-je derrière moi.
Une goutte a juste le temps de perler sur la pente des ribs de porc
avant de s’évaporer comme la meilleure de mes idées.
La viande n’est toujours pas sauvée.
Pour agir, j’ai besoin de la musique appropriée
afin d’accentuer la tension dramatique du moment.
De la main droite, je saisis mon téléphone, fouille ma playlist,
tout le monde me crie T’es con, occupe-toi de la bouffe,
de l’autre je manipule notre repas avec la spatule.
Putain !
Sur les premières notes de ma chanson
ma poitrine se gonfle
je me sens attirant
et audacieux. Je danse,
la spatule toujours à la main.
Alors que je suis sur le point de retirer du feu les dernières pièces de viande
je renonce finalement au sauvetage.
Je lâche la spatule
– les convives me regardent estomaqués –
et jette mon téléphone par-delà la haie des voisins
qui depuis ce matin nous surveillent derrière leurs stores.
Enfin, je me tourne
lentement
vers la piscine où patauge la belle-fille de Machin.
Sur moi leurs yeux. La musique me porte. Un pas
en arrière, je prends mon élan par les cornes-et-me-précipite-vers-la-piscine-en-courant-et
saute
tout habillé, en riant fort,
en faisant la bombe.
_ _
E.C. juillet 2018
27 alliances en 3 tercets
Se doucher-écran. Payer-retard. Conduire-héritage.
Diner-invention. Tracer-podcast. Se persuader-Bac+5.
S’habiller-violence. Envoyer-frontière. S’isoler-langage.
Baiser-sans fil. Sécréter-club de foot. Jouir-centre-ville.
Séquestrer-solidarité. Cauchemarder-pourcentage. Obtempérer-armure.
Stigmatiser-Première Dame. Pirater-fantasme. Terroriser-direction.
Compromettre-image. Éjaculer-banlieue. Dénoncer-espèce.
Dévier-popularité. Risquer-famille. Estimer-identité.
S’engager-panneau. Voter-périphérique. Libérer-action.
_ _
E.C. Février 2016 – Juin 2018.
Tercets du jour
un mode de communication impulsif
basé sur le maintien de l’ordre
des molécules et des atomes
une parole avant tout
dont le labo est dans la bouche
on lave son attentat en famille
un ralentissement avant l’arrêt complet
on prend le temps de prendre
il faut se faire voleur
l’acceptation est un petit-déjeuner
on accueille la porte quand ça sonne
le soleil brille mais on s’arme quand même
dans la poche est glissé le ton
la compromission n’est pas pour demain
même si dix années passent
le dehors enchaîne les bobines
reste la peur de louper une scène
l’ubiquité n’a jamais permis d’être là
revenir bredouille est décourageant
la to do list s’allonge à coup de minutes
la spontanéité a toute la vie devant elle
_ _
E.C. 08/05/2018
Volonté
C’est quand j’ai vu
la vieille dame éternuer
au-dessus du buffet
à volonté
que j’me suis dit
T’as raison. On aurait dû se faire un kebab.
_ _
EC, 12/01/2018
Thierry J.
Dans le carré de sièges devant moi
quatre cadres
sûrement très dynamiques
discutent fort de l’ambiance dans la boîte.
Ils s’esclaffent
se moquent de leurs clients
commentent bruyamment le travail des équipes
répondent à leurs téléphones…
Apparemment
depuis le licenciement de Thierry J.
tout se passe pour le mieux.
Les chiffres sont bons
et personne ne craint pour sa place.
Ils devraient pourtant, craindre
pour leurs places.
Puisque à ce moment même
un wagon tout entier
agacé par le bruit
fomente silencieusement un plan
pour venger Thierry J.
_ _
E.C. 12-18/01/2018
Je cœur New York

Je visitais le sommet du Rockefeller Center
quand soudain je réalise que c’était le jour
du premier anniversaire de la mort de Mémé.
L’altitude peut-être.
J’étais haut.
Il en fallait pas plus
pour croire en la force mystique du moment
et le tourner en rite d’initiation.
Je sors de ma poche un porte-clés à l’effigie de Dijon
puis le brandis de tout mon vertige au-dessus de Central Park.
Je suspends ce jour-là mon quartier d’enfance bien plus haut que l’East Village.
– –
Extrait du recueil inédit Auberge de jeunesse.
La poésie, ça sera toujours mieux maintenant
« Écrire c’est creuser un puits pour en remplir un autre. »
Thomas Vinau, Les Derniers seront les derniers, éditions Le Pédalo ivre, 2012.
« Écrire c’est répondre aux questions que personne ne vous pose. »
Jean-Pierre Georges, L’Éphémère dure toujours, éditions Tarabuste, 2010.
La poésie est ce que chacun en fait. Chaque époque créé les formes poétiques qui lui sont nécessaires. En ce sens, j’attends d’un poème qu’il soit évident et pertinent pour celui ou celle qui l’écrit ou le lit, mais surtout qu’il soit ancré dans une contemporanéité, plutôt que dans une recherche de forme ou de continuité d’un quelconque courant poétique. La poésie, ça sera toujours mieux maintenant.
Il y a des évidences et des choix qui s’imposent avant l’écriture. Cela exige de se poser la question : quelle poésie pour aujourd’hui ? Pour ma part, j’ai fait mes choix. En poésie, ne jamais dominer l’autre. Le lecteur, le voisin. La poésie doit exclure toute forme de domination culturelle et sociale par le langage. Ne pas chercher à convaincre. J’aime quand le poème témoigne d’une vérité, pas d’une conviction. Qu’il fasse l’inventaire. L’état des lieux avant de signer le bail. La poésie est le contraire de la rhétorique. Pas de bling-bling ou de grandiloquence. Pas de coup de marteau en trop. Elle n’est pas la langue des médias. Elle est une alternative au déterminisme. Elle me permet de choisir d’où je viens et comment je le dis. Néanmoins, j’aime quand la poésie est ancrée dans la réalité et le contexte social du poète. Quand elle me confirme ce que j’ai au fond de la tasse tous les matins ou qu’elle change ma perception d’une situation. Je ne lis pas et je n’écris pas pour m’évader. Il y a la vraie vie pour ça.
Écrire de la poésie est pour moi autant récréatif que nécessaire. Récréatif, dans le sens où je ne me force pas à écrire. Nécessaire car ça me permet de réajuster ce que j’ai manqué de formuler ou d’accomplir dans la vraie vie. Elle me permet de rectifier le tir ou d’amplifier un geste.
Mon écriture se nourrit du langage parlé. La publication n’est pas une étape mais un autre parcours. Je veux continuer à publier, mais je n’écris pas dans le but de publier. La publication n’est qu’une des suites possibles. C’est l’after work ou l’happy hour. Publier c’est construire un livre. Mais avant de construire, faut bien se trouver des briques. Trouver des briques, c’est un peu comme écrire des poèmes.
En ce moment, j’écris peu de poésie. Très peu. Je ne me force pas. N’aime pas l’effort. Écrire beaucoup pour garder peu, pas mon truc. Préfère ne pas trop écrire. Plutôt attendre le bon moment et me satisfaire de tout sauvegarder dans un fichier. Je ne jette pas. Ou si peu. Plutôt, je reformule. Je reformule constamment. Constamment j’aime garder. Même les bribes. Les amorces. Elles pourront peut-être servir.
Emanuel Campo.
Lyon, août 2017 – revu en décembre 2017.
« Toi et ton rap » me dit-elle
Quand elle m’a dit vouloir faire un break
j’ai d’abord cru
qu’elle voulait se mettre à la danse hip hop.
Dix subterfuges, débiles, mais qui marchent à condition de travailler dur.
\UN/ J’ai plié mon billet de dix euros de telle sorte que tu croies que j’en ai deux, posés l’un dans l’autre sur la table.
\DEUX/ J’ai plié ma copine de telle sorte que tu croies que j’en ai deux, allongées l’une sur l’autre comme sur la photo.
\TROIS/ J’ai plié mon meilleur ami de telle sorte que tu croies que j’en ai plusieurs à mes côtés sur la banquette.
\QUATRE/ J’ai plié mon doigt de telle sorte que tu croies que j’arrive à me couper le doigt rien qu’en tirant dessus.
\CINQ/ J’ai plié mon rire de telle sorte que tu croies que je te trouve méga drôle.
\SIX/ J’ai plié le transat d’une telle manière que tu croies que je m’en vais le ranger.
\SEPT/ J’ai plié mon pull de telle sorte que tu croies que je suis un mec soigné.
\HUIT/ J’ai plié mon corps de telle sorte que tu croies que je suis champion de Bourgogne junior de karaté sur poutre.
\INTERLUDE/ J’ai plié mes orteils, comme ça, pour essayer.
\NEUF/ J’ai plié mes pensées d’une telle manière que tu croies que je maîtrise et que j’ai vécu vingt ans dans un temple Shaolin.
\DIX/ J’ai pris une durite et je l’ai pétée. Et tu crois que je pète une durite.
_ _
19/09/17
Il a d’abord pensé écrire un poème sur la charge mentale
Il a d’abord pensé à quelque chose d’inédit
avec des objets.
Mais il s’est dit
que
Alors il a cherché
un sujet à la mode
un sujet confortable
pas tout à fait subversif
qui ne bousculerait pas ses fréquentations
la charge mentale
les baisses des subventions
les ordonnances
la rentrée.
Il y a quelque chose de lourd dans la recherche
d’artificiel. Ne sachant pas
par où commencer
il arbitre
sans jouer.
Autour de lui : la semoule.
Plein-de-semoule-des-grains-de-semoule
et lui
il pédale
pédale
comme un danseur
comme un coiffeur
comme un styliste
comme un cliché
sur un vélo sans selle
la roue voilée.
Et il a crié
crié
pour qu’elle revienne.
Alors elle est revenue
copycat
sans queue ni tête
niaise et vieille comme le monde
un râteau à la main
une carte de fidélité dans l’autre
l’inspiration.
_ _
13/09/2017
Live Forever
Ça faisait longtemps – ce soir – qu’il n’avait pas écouté
– pris le temps –
(What’s the story?) Morning Glory de Oasis.
Album sorti tout droit de sa pré-adolescence
qu’il avait d’abord découvert sur une compilation.
Ce soir, devant son verre de vin blanc, il se dit
Merde
cette voix
la voix de Liam Gallagher
une flèche triste en pleine gorge
elle te brise un escadron de B-52
comme bon lui semble
elle t’enchaîne au premier souvenir
au premier chagrin qui a le malheur de passer par là
elle suit le sentier du débris
te détruit te recolle instantanément
attise
l’atmosphère d’engueulade qui subsiste encore dans cette cuisine
où, une heure avant l’album joué,
elle claqua la porte.
Liam lui est là
trônant sur la plateforme de streaming
un sceptre comme une chanson dans la main
des verres de vin blanc dans les yeux de celui qui l’écoute.
Le problème n’est pas là
La thérapeute pose ses mains sur la zone du
problème Elle dit
je pose mes mains ici mais le problème n’est pas là
A bon
je le rattache à
Elle le rattache à
je le rattache à un ailleurs dans le corps plus loin dans le temps
Elle le rattache à un ailleurs dans le corps plus loin dans le temps
Cette douleur à l’épaule est liée à
Oui
novembre
Oui
de l’année 20**
Dans sa bouche, l’année 20**
arrive aux oreilles masquée par deux astérisques
comme si l’esprit avait déjà classé l’affaire
et refusait au corps de savoir.
_ _
E.C. février 2017.