Le pain lève
La France
Paris
Toute une génération
Je m’adresse aux poètes qui étaient présents
Amis
Apollinaire n’est pas mort
Vous avez suivi un corbillard vide
Apollinaire est un mage
C’est lui qui souriait dans la soie des drapeaux aux fenêtres
Il s’amusait à vous jeter des fleurs et des couronnes
Tandis que vous passiez derrière son corbillard
Puis il a acheté une petite cocarde tricolore
Je l’ai vu le soir même manifester sur les boulevards
Il était à cheval sur le moteur d’un camion américain et
brandissait un énorme drapeau international déployé
comme un avion
VIVE LA FRANCE
Les temps passent
Les années s’écoulent comme des nuages
Les soldats sont rentrés chez eux
A la maison
Dans leur pays
Et voilà que se lève une nouvelle génération
Le rêve des MAMELLES se réalise !
Des petits Français, moitié anglais, moitié nègre, moitié
russe, un peu belge, italien, annamite, tchèque
L’un à l’accent canadien, l’autre les yeux hindous
Dents face os jointures galbe démarche sourire
Ils ont tous quelque chose d’étranger et sont pourtant bien
de chez nous
Au milieu d’eux, Apollinaire, comme cette statue du Nil, le père des eaux, étendu avec des gosses qui lui coulent de partout
entre les pieds, sous les aisselles, dans la barbe
Ils ressemblent à leur père et se départent de lui
Et ils parlent tous la langue d’Apollinaire
Blaise Cendrars, Paris, novembre 1918
Magnifiquement contemporain ce poème d’un écrivain jamais égalé.
« Magnifiquement contemporain », oui. « écrivain jamais égalé » je ne sais pas, mais ça me donne envie de vérifier.